Il était une fois dans une lointaine forêt luxuriante d’Europe, ou peut-être d’Asie ou peut-être d’ailleurs, une vieille tour majestueuse. Cette tour était gardée par des hommes d’une imposante stature et tout d’un film d’or recouverts. Et dans cette tour se trouvait une enfant. Son visage reflétait la lumière au point que jamais nul ne put l’entrevoir. L’enfant ne buvait ni ne mangeait. Elle attendait aux barreaux de l’étroite fenêtre. Elle attendait la tombée de la nuit où la douce mélodie venue de la forêt l’enveloppait de son intense étreinte. Autour, une rivière aux eaux étincelantes fermait cet ensemble aussi beau qu’inquiétant.
Au loin, par-delà la forêt, se trouvait un village. Des hommes tout de gris construisaient, érigeaient jour après jour, pierre après pierre, de grandioses édifices. Mais ces édifices, malgré la luminosité des roches utilisées et le polissage apporté à leur taille, demeuraient irrémédiablement gris, d’un gris plus sombre encore que celui de leurs bâtisseurs. Les hommes recommençaient, s’acharnaient, mais rien n’y fit, une sorte de malédiction semblait frapper le village. La grisaille avait tout envahi. Seule la vue de la forêt apaisait les tourments de la nuit. Alors les bâtisseurs se réunissaient et entonnaient des chants face aux nobles arbres témoins de l’indéchiffrable mystère qui frappait la communauté des hommes.
Chaque nuit, leurs mélodies partaient au loin, portées par la force de leurs appels éplorés.
Et chaque nuit, au-delà de la rivière aux eaux étincelantes, la fille éthérée de la tour entendait chagrinée ces complaintes venues d’ailleurs. Alors, n’en pouvant supporter davantage, l’enfant tordit les barreaux de sa prison et entreprit la descente de la tour, mue par une force nouvelle puisée dans l’essence même des chants du lointain. Mais voilà, dès que les chants cessaient, l’enfant perdait toute vigueur et était récupérée par les colosses d’or et le lieu replongeait dans son envoutante torpeur.
Vint un jour terrible où les sombres édifices du village, sombrèrent, se disloquant sous l’assaut d’une mystérieuse brume. Le désespoir s’empara alors du cœur des hommes de pierre. La nuit venue, leur chant devenu supplique, redoubla d’intensité et traversa, tel un incontrôlable courant, l’épaisse forêt jusqu’à la tour.
L’enfant, prise alors d’une force redoutable, brisa, de nouveau et sans effort, les chaines de sa geôle d’or et gagna le sol jusqu’à atteindre la rivière. Mais à peine y eût-elle trempé les pieds que celle-ci se transforma en d’hostiles sables mouvants. Déterminée et portée par les invocations du loin, elle brava l’effroyable obstacle et parvint à gagner la forêt. Mais la forêt était obscure. C’est alors que les suppliques se transformèrent en prières d’une tension insoutenable et la guidèrent jusqu’à l’endroit même du village. Là, le jour se leva et sa lumière se réfléchit sur le juvénile visage comme jamais jusqu’à lors. Cette lumière puissante partout s’étendit. Les cœurs las reprirent courage, la raison réoccupa l’esprit et l’âme réinvestit les corps. La grisaille se dissipa jusqu’à disparaître.
Alors l’œuvre des hommes retrouva son éclat et les chants n’étaient plus ceux de l’affliction mais ceux de la joie.