L’air était lourd. Les mots emplissaient l’univers. Ils avaient tout envahi. Des mots lourds, des mots vides, des mots savants, des mots terrifiants. Des mots nombreux. Parfois, certains, benêts, vains, se présentaient seuls, sans raison et repartaient, laissant derrière eux dépit et résignation. D’autres, pervers, surgissaient à leur suite accompagnés d’actes, brutaux, effroyables.
Le monde devint inhabitable.
Les mots, complices, fuirent. Ils trouvèrent refuge dans la terre des non-dits, celle où tout pouvait être dit.
Beaucoup les défendirent. « Comprenez que ces mots innocents étaient simplement maladroits » répétaient-ils à l’envi. « Non » répondirent les résistants, les résilients, « ces mots sont coupables. Leur bêtise toujours les exonère, leur pauvreté est leur refuge. Livrons-leur enfin bataille ».
Les camarades indignés par l’iniquité étaient partagés. Où donc chercher les mots alliés ? Comment donc trouver les mots justes ? Ceux qui touchent les cœurs, ceux qui élèvent les esprits. Ces mots-là étaient rares. Leur culture interdite était devenue clandestine. La quête était laborieuse et souvent infructueuse.
Le découragement gagnait les compagnons. Comment atteindre ces précieux alliés ? Des groupes se formèrent.
Certains cherchèrent auprès de la Raison. Mais la Raison elle-même s’était dévêtue devant la Ruse, et avait abandonné le Courage. Pour survivre, pour vivre, pour jouir. Celui-ci laissé seul et se pensant seul avait renoncé à l’action.
D’autres cherchèrent auprès de l’Action. Mais l’Action, avec pour seules compagnes la douleur, et la colère, se résumait bien souvent en une chaîne continue d’actions dont le seul horizon était devenu celui, infini, de leur répétition.
Quant au groupe qui avait parcouru le long chemin menant à l’Intelligence, il trouva sa source altérée. Sa pureté s’était diluée dans l’orgueil et ses forces peu à peu l’abandonnaient.
Enfin le dernier groupe plein d’une lucidité retrouvée avait, lui, entrepris le long voyage conduisant à l’Humilité.
Une fois parvenue à destination, il y trouva, ébahi, la Raison, le Courage et l’Intelligence unis autour du plus noble et du plus abouti alliage humain.
Les mots devinrent alors parole. Une parole rédemptrice, une parole créatrice. Celle qui façonnait la beauté et répondait la lumière