Dans une petite clairière, des compagnons étaient engagés dans une discussion animée.
Le paon s’écriait :
— Je vous le dis, nous ne pouvons plus longtemps admettre les blaireaux; il en va du prestige de l’institution forestière,
— Quel outrage commit le blaireau que tu le jugeas ainsi indigne de ta compagnie, rétorqua le cerf,
— Il est laid et insignifiant, sa présence m’incommode, répondit aussitôt le paon,
— D’où tiens-tu pour certitude que la tienne nous agrée ? poursuivit le cerf, de quel ouvrage te targues-tu ?
— Comment oses-tu ainsi me contrer ! s’écria le paon indigné,
— Ton propos s’impose de tout le poids de tes plumes, intervint le campagnol,
— Il te sied bien à toi de parler, ta présence ici tolérée tient en ce que tu prélèves en ces lieux à la mesure de ta petitesse,
— Ma petitesse ou la tienne ? répliqua-t-il. Ta tâche est vanité, ta parole flèche, ton unique ami est cette ombre qui te précède. Mon ouvrage ardu est mon argument. Je dois constamment me nourrir et les prédateurs fuir pour ne point mourir,
— Le campagnol dit vrai ! reprirent en cœur les compagnons. Nous sommes las de ton arrogance le paon, aussi nous te laissons, s’écrièrent-ils tous en cœur.
En cet instant et, pour la première fois, le paon ressentit l’abandon.
Il traversait comme à son accoutumée les plus belles allées, mais nul ne le voyait.
Lui qui autrefois se délectait des plus envieux regards ne regardait plus. Sa cape de majesté peu à peu se refermait.
Un jour, il se laissa échoir près d’un cours d’eau bordant une ferme.
Le maître coq des lieux s’approcha de lui et l’apostropha :
— Sied-il que la fierté du plus beau d’entre tous se laissât ainsi dériver ?
Le paon adressa au coq un regard éteint :
— L’esprit qui dans ta parole prend forme, m’a quitté et cette pensée me ravit. La sollicitude que tu me manifestes, je la vois et cela me réjouit,
— Ne te tracasse pas ainsi mon bon ami, la chose que là tu vis, est la plus précieuse amie. Elle est celle qui t’instruit et qui, pour peu que de ta mémoire tu chasses l’oubli, te rétablit.
Le paon se redressa :
— Je te remercie mon sage ami, dit-il raffermi. Je m’en repars à ma demeure, lui redonner la lumière qu’un orgueilleux plumage lui a dans l’ignorance confisquée.